Date : 17/10/2022
Sujet :
Voici le premier texte d’une série publiée par le collectif citoyens d’Iroise sur la protection de la vie privée.
Charte des droits fondamentaux. Chapitre II : Liberté
- Article 7 : respect de la vie privée et familiale ;
- Article 8 : protection des données à caractère personnel ;
Droits, Devoirs et Libertés
Au sein de notre République, la vie des citoyens est régie par un ensemble de textes permettant de définir nos droits et nos devoirs. Certains sont très ordinaires (le règlement sur l’usage d’un espace public comme la plage par exemple), d’autres sont au contraire profonds comme la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, la charte des droits fondamentaux, la constitution, etc. Entre les deux, la bibliothèque des droits et devoirs est large et dense.
Certes et alors ? Cela fait des siècles que nous vivons ainsi dans un état de droit
Effectivement, les citoyens français ont une longue tradition de vie républicaine dans un État de droit. La société a évolué régulièrement et les lois se sont toujours adaptées. Rien de bien neuf sous le soleil a priori, en tout cas rien qui puisse nous interpeler dans la vie quotidienne de nos petites communes.
En fait si, et de manière aussi puissante qu’insidieuse.
Jusqu’à ces dernières années, il existait un certain équilibre entre la loi et son application aux citoyens. On ne va pas se mentir, ces derniers n’ont qu’une connaissance très approximative de la loi mais ils en saisissent assez bien la pratique quotidienne, ce qui est suffisant pour que la société fonctionne correctement. Ou plutôt, ce qui était suffisant tant que seuls des humains avaient la capacité de faire les traitements.
Un changement s’est opéré en deux étapes depuis les années soixante-dix
Le changement à l’œuvre concerne la capacité de surveillance et de contrôle du citoyen par rapport au respect de la loi (entre autres). Sur le principe, dès l’instant où il existe des lois à respecter, il est totalement normal que l’on puisse surveiller et contrôler ce respect. Mais notre société est construite sur un équilibre entre devoirs / droits et des postulats d’égalité et de liberté. Ce ne sont pas que des mots. En France nous sommes libres d’agir et personne n’est a priori suspect et a fortiori, personne n’est a priori coupable.
Jusque dans les années soixante-dix il était extrêmement difficile de mettre en place un pouvoir de surveillance efficace et de contrôle généralisé de la population. Seuls les états totalitaires s’y essayaient et devaient consacrer des moyens considérables pour n’y arriver que partiellement. Dans une République démocratique comme la France une telle chose était naturellement inconcevable.
La généralisation de l’outil informatique dans les années 70 a commencé à changer la donne : la machine commençait à permettre de stocker et de traiter plus facilement les informations sur les citoyens et donc de surveiller automatique les écarts potentiels de certains comportements par rapport à la loi. Tout cela aurait pu être acceptable si pour attraper quelques « méchants » il n’avait pas fallu passer au filtre informatique toute la population des « gentils ». La réponse a été la loi Informatique & Libertés promulguée en 1978 dont l’un des objectifs peut être vu comme la transposition du droit à la vie privée et à la liberté des personnes dans l’espace informatique.
La deuxième étape découle directement de la numérisation de notre société à partir de 2008 (informatique et numérique sont deux choses différentes, le premier est juste l’outil, le second ce qu’on en fait au quotidien). La numérisation incroyablement rapide et simple de notre monde permet aujourd’hui de collecter un nombre gigantesque de données sur chacun d’entre nous sans même que nous le sachions. Les outils informatiques disponibles ont par ailleurs évolué de façon incroyable depuis les années 70, aussi bien en puissance brute qu’en qualité de traitement.
Aujourd’hui, non seulement il est possible de constater d’éventuels écarts par rapport à une situation de référence, mais cela peut se faire en continu et surtout il est possible d’être prédictif. Une utilisation poussée au maximum des capacités numériques permet de prédire des choses que vous allez faire avant même que vous pensiez à les faire.
La réaction européenne a été de mettre en place en 2018 le Règlement sur la Protection des Données (RGPD) qui permet à nos « clones numériques » d’être libres dans l’espace numérique et de préserver notre droit à la vie privée numérique et physique. En pratique cela nous protège d’une dérive à la chinoise qui a mis en place le « crédit social ».
Cela ne me concerne pas, je vis dans une petite commune et je n’ai rien à cacher !
Tout d’abord, petite commune isolée ou métropole, la taille n’y change rien, le monde est hyperconnecté.
Ensuite, pour reprendre la maxime du héro de la série Docteur House, « tout le monde ment ». Mentir n’est certes pas une qualité mais dans les faits, il n’existe pas de possibilité de vie sociale harmonieuse sans mensonge. Le film « L’invention du mensonge » explore cette idée d’un monde où tout le monde dit toujours la vérité. Et le moins que l’on puisse dire c’est que derrière l’humour décalé de ce film, nos prétentions à un absolu de vérité et de transparence en prennent un coup.
Sans barrières nettes et infranchissables entre la vie privée et la société, la liberté n’existe pas, pas plus que les relations apaisées et harmonieuses. Un individu ne peut pas se construire sans vie privée. Ceci ne s’oppose par ailleurs pas à la volonté de justice, de respect de la loi. Cela dit simplement que la loi doit traiter les « cas graves » et que pour le reste c’est aux individus de gérer librement la zone grise juridique qui est aussi celle de l’éthique et de la morale. Or dans un monde totalitairement numérique, la machine ne permet pas cette liberté. À tout moment elle sait ce que vous faites, où vous êtes, qui vous rencontrez, entre autres…
Ce sujet de vérité et de transparence absolue nous concerne déjà au quotidien. La loi informatique & libertés / RGPD a déjà faire reculer les prétentions très intrusives des acteurs de l’économie en matière de collecte de données. Mais cela concerne également les collectivités locales qui certes ne sont pour la plupart pas très avancées dans le processus (plus par manque de compréhension que par choix). L’État central, par contre, l’est beaucoup plus.
Conclusion
Des moyens numériques puissants peuvent être déployés de façon rapide, silencieuse. Ils sont fortement intrusifs vis-à-vis de la vie privée. Le déploiement des caméras dans nos communes est une excellente illustration et ce sera l’objet d’un futur billet.