Emploi  & économie numérique (1/2)
Emploi & économie numérique (1/2)

Emploi & économie numérique (1/2)

Vieux problème, nouveau contexte

Le chômage est un problème récurrent de notre société depuis plusieurs décennies. La numérisation très récente de notre économie semble perturber un peu plus les années d’activités professionnelles des personnes et il paraît bien difficile de savoir si l’émergence de cette nouvelle économie sera schumpétérienne ou ravageuse tant les outils classiques de décodage sont devenus obsolètes et hors du cadre. L’objet de cet article est d’essayer de comprendre comment les ressorts de la numérisation de notre monde peuvent agir sur l’emploi salarié classique.

Un réel impact sur l’emploi salarié

L’INSEE constate que sur les 15 dernières années, seuls 30% des emplois créés sont des emplois salariés et que la tendance est en accélération. Ceci colle assez bien à la période de numérisation de l’économie qui débuterait réellement après la bulle internet et décollerait vers les années 2008-2012.

Par ailleurs, si l’on compare AirBnB et le groupe AccorHotels qui sont deux acteurs de référence sur le même marché mais fonctionnent avec l’ancien et le nouveau modèle économique, on constate que l’acteur numérique emploie plus de cent fois moins de collaborateurs (1.500 contre 180.000) pour gérer presque deux fois plus de chambres (800.000 contre 480.000).

Enfin, dans une étude présentée à Davos en 2016 faite sur 15 pays représentant 65% de la population mondiale de salariés, on estimait que l’économie numérique créerait 2 millions d’emplois mais en détruirait 7 dans les 5 ans.

Très factuellement, on ne peut que constater un effet fortement destructeur de l’emploi classique. Mais quels en sont les ressorts et est-ce si subi que cela ?

L’architecture classique de notre société

pyramide-age-1954-2015 Notre modèle de société a été bâti sur une démographie « pyramidale » découpée en trois âges articulés autour de la vie active des citoyens.

Le fait que la démographie soit devenue « cylindrique » explique grandement nos problèmes d’équilibre financier du modèle.

Dans l’ancien modèle de société, de 0 à 25 ans environ, le citoyen en devenir est totalement pris en charge pour sa protection, ses soins et son éducation / formation. De manière similaire vers 60 ans il est pris en charge pour ses soins et sa dépendance et est financé par sa retraite.

Dans sa période active, il finance sa protection sociale (chômage, maladie) et sa formation à partir de son emploi.

Et si l’on y regarde de plus près, l’emploi recouvre en fait (dans l’ordre habituel de priorité) ses revenus, son statut social et son accomplissement personnel.emploi-1

L’impact du numérique sur la vie active

Certains mécanismes de l’économie numérique changent radicalement les choses.

En particulier, la numérisation du monde rend possible l’émergence d’un capital personnel de production qui est consubstantielle aux individus mais qui ne peut que très rarement être valorisé dans l’ancienne économie. Par nos savoirs, savoir-faire, possession ou simplement ce que nous sommes, nous disposons tous d’un capital individuel de production. À travers les mécanismes de troc de services ou l’échange collaboratif, ce travail est facilement valorisable, et donc source d’échanges de richesses. Parallèlement, le mécanisme de démonétisation de la valeur de certains échanges (le freemium) permet une « non-dépense » sur nombre de nos besoins.

En synthèse, il est possible à la fois de dépenser moins (en monnaie) tout en échangeant plus (sans monnaie).

L’émergence de ce capital personnel de production a un impact direct sur l’ordre de priorité définissant l’emploi : l’accomplissement personnel peut devenir prioritaire, puis le statut social et enfin la nécessité d’un revenu.

L’économie numérique permet à l’individu d’échapper aux contraintes de l’emploi salarié habituel. C’est un phénomène que l’on constate chez les jeunes générations avec la promotion du jeune créateur de startup mais aussi chez les quarantenaires qui après une vie classique de salarié s’émancipent et deviennent leur propre patron. Les seconds ont l’avantage sur les premiers de pouvoir s’appuyer sur un capital accumulé dans l’ancienne économie.

Enfin, dernier changement, l’émergence d’un capital de production abaisse l’âge d’entrée dans la vie active (les jeunes youtubers en sont de beaux exemples) et il en retarde la sortie (l’usure numérique du capital de production est lente).emploi-2

La protection sociale des actifs de l’économie numérique

Il se pose naturellement le problème de la gestion de la protection sociale dans un tel modèle : assurance maladie, assurance chômage et formation. La mise en place d’une allocation citoyenne universelle (revenu de base) paraît de plus en plus inévitable. Elle remplacerait le système actuel très complexe, parfois inefficace et imparfaitement financé. Elle assurerait un niveau minimal de sécurité en particulier pour les individus comprenant mal la façon de valoriser leur capital personnel de production.

Il est d’ailleurs indispensable dans le monde qui émerge de déployer un immense effort d’alphabétisation numérique, à commencer par nos gouvernants et dirigeants.

Le numérique s’est imposé à notre société, cela n’a pas été un choix. Par contre certains aspects telle que la protection sociale doivent faire l’objet d’un vrai choix. Notre système social actuel a été bâti dans des conditions structurelles radicalement différentes de celles d’aujourd’hui.

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NB : ce texte est le support de la conférence donnée le 3 février 2016

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