Michel Serres un grand penseur des changements de notre époque
Michel Serres tenait pour moi une place particulière. Malgré un âge déjà avancé, ce philosophe avait plus que tout autre su garder une jeunesse et une vivacité d’esprit qui lui permettaient de voir, comprendre et expliquer les immenses changements que notre époque doit affronter.
Que ce soit avec mes clients pour leur faire saisir l’intensité des défis économiques à relever, en conférence ou avec mes étudiants, je me référais souvent à lui lorsque j’évoquais les points singuliers de la numérisation de notre monde.
Il était, il reste à mon sens une autorité scientifique, philosophique et morale capable d’expliquer de façon rassurante ce que sont ces immenses changements. Puissent sa sagesse et son optimisme continuer à nous guider.
En guise d’ultime hommage et en humble écho à Petite Poucette, voici l’extrait d’un essai, Tissons l’Iroise, que j’ai écrit il y a quelques années.
Au revoir Monsieur Serres.
La petite Marie entre au lycée
Cette année, Marie entre en seconde au lycée. Drôle de changement pour elle, mais aussi pour tous les élèves et les professeurs, car c’est l’année de la grande réforme.
En effet, après bien des tâtonnements et des hésitations, le nouveau modèle de l’enseignement fait officiellement ses débuts. Finis les cours magistraux où le professeur dispensait le savoir à toute une classe. Il est vrai que maintenant que la connaissance en ligne est devenue universelle et gratuite, la mémoire du plus étourdi des élèves est devenue celle de l’humanité tout entière. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, le savoir n’a été aussi grand et accessible. Et comme l’avait prédit Michel Serres, son philosophe préféré, le professeur n’est plus vraiment là pour apporter le savoir, mais plutôt pour l’approfondir, apprendre à le questionner ou encore le mettre en pratique. Marie s’est d’ailleurs inscrite au canal numérique du savoir de Michel Serres, et elle suit avec assiduité son enseignement, qui mélange holographie, interaction et simulation pratique. On est bien loin des MOOC du début ! Il paraît que grâce au temps libéré à ne pas apprendre par cœur ce que l’on trouve d’un clignement d’œil sur ses lunettes connectées, les gens ont plus de temps pour comprendre et tester ces connaissances, et surtout devenir plus critiques, émancipés. Finalement, cette façon d’enseigner les libère des difficultés de l’apprentissage et les rend plus capables d’être de meilleurs citoyens.
Mais on est loin d’avoir fait complètement le tri dans les programmes, et Marie se moque parfois de son petit frère, qui doit encore apprendre à lire un cadran d’horloge alors qu’on n’en trouve plus guère que sur les horloges des villages et aussi dans la collection de vieilles montres à engrenages de tonton Jean. Certains disent même que bientôt on n’apprendra plus à lire puisque les nouvelles interfaces numériques peuvent remplacer avantageusement les vieux supports de la communication, comme les livres. Mais Marie a des doutes. Et puis elle aime tant se réfugier dans sa chambre pour dévorer les romans de la bibliothèque de papa ! Ce serait tellement dommage de perdre cela.
Allez, trêve de rêverie, son bracelet connecté vient d’être réveillé par son agenda scolaire : il est temps de gagner sa classe et de commencer cette nouvelle année.
La dernière ITW de Michel Serres