La République à l’épreuve de l’hyper-connectivité numérique
La République à l’épreuve de l’hyper-connectivité numérique

La République à l’épreuve de l’hyper-connectivité numérique

La troisième règle de l’économie numérique a un libellé en forme de boutade : « connecto ergo sum* »

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Cependant, dernière cette accroche du troisième chapitre de mon livre,  il y a bien un réalité très concrète qui est que l’accès à l’information et à autrui n’est plus une rareté ; il est possible de savoir à peu près tout sur tout, en tout lieu, à tout moment et à un coût généralement dérisoire.

Économiquement, l’impact est que cela a fait disparaître les monopoles métiers de l’information et de la communication. Tout un chacun est désormais un créateur et un éditeur de contenu avec une audience potentiellement mondiale.

La crise que la France traverse depuis fin 2018 n’est pas sans lien avec cette hyperconnectivité. De la même façon que l’économie se transforme à travers les nouveaux usages liées (entre autres) à l’hyperconnectivité, le fonctionnement politique de la France se trouve face à quelque chose de radicalement nouveau à l’échelle de notre Histoire.

Naturellement, les technologies numériques ne sont pas l’alpha et l’omega expliquant la crise que traverse le pays, mais elles y prennent une lourde part.

Le moteur technologique de la révolution

Dans une interview donnée à la Dépêche le 7 janvier 2019, Michel Serres dit qu’il manque à notre République « une pensée forte pour un nouveau système de gouvernement, un nouveau système de société, un nouveau type d’institutions » et que ceci est dramatique car «  nous étions gouvernés et organisés selon des institutions qui ont été inventées pour un monde qui n’est plus du tout celui qu’il est devenu ».

Mais quelle est donc la part du numérique dans ce champ de ruines qu’est devenu notre organisation politique ?

Pourquoi nos équilibres entre pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire et médiatique sont-il en train d’exploser ?

Le peuple est souverain et l’hyperconnectivité numérique sa voix

La République française est fondée sur la démocratie, c’est à dire qu’en son sens premier le pouvoir est celui du peuple, celui de chaque citoyen. Cependant, avoir le pouvoir et être en capacité de l’exercer de façon efficace sont deux choses bien différentes. C’est pourquoi notre organisation politique, telle que la Vème République l’a voulue, délègue ce pouvoir par l’élection. Les pouvoirs législatifs et exécutifs sont issus des élections dont ils tirent leur légitimité. Le citoyen délègue son pouvoir à un représentant.

Or depuis quelques mois, le monde politique découvre avec stupéfaction la puissance du mouvement des gilets jaunes, venu de nulle part, sans identification de personnalités l’incarnant ou le représentant. Ce mouvement conteste à la fois le pouvoir législatif accusé de ne pas représenter leurs attentes et le pouvoir exécutif accusé d’agir contre le peuple.

Que des mouvements contestataires existent n’est pas nouveau.  Qu’ils aient cette puissance politique est plus exceptionnel. Comment est-ce possible et pourquoi donnent-ils l’impression d’être plus légitimes que les élus qu’ils ont choisi même pas deux ans plus tôt ?

Techniquement parce que l’hyperconnectivité donne à chaque individu une puissance et une liberté de communication que très peu d’élus peuvent avoir aujourd’hui. Le citoyen numérique a une puissance de parole et une capacité à créer un mouvement collectif incomparablement supérieur à un député devant composer avec les contraintes de son parti et de l’organisation de son travail. Une fois élu, le député perd le faible lien établi avec le citoyen. Le député est seul, les citoyens sont légion.  Le député dispose des moyens d’expression que lui donne la République. Le citoyen parle à l’agora mondiale.

La démocratie donne le pouvoir et la légitimité au peuple souverain. L’hyperconnectivité numérique affaiblit très fortement celle des députés tels que la République les définit. Le pouvoir législatif, quel que puisse être la qualité des élus et des partis est, comme le note Michel Serres, dans l’incapacité d’entendre, de comprendre et de répondre à des attentes directement exprimées avec tant de force par la multitude.

Le pouvoir exécutif lui affronte en plus le résultat d’un choix politique qui est la volonté de passer au-dessus des corps intermédiaires. Certes ces corps intermédiaires (partis, syndicats, associations, commissions, …) souffrent aussi de l’évolution que nous venons de mentionner, mais de part leur nombre et leur proximité ils sont les seuls à avoir une chance de s’adapter rapidement à la nouvelle réalité. Le pouvoir exécutif réduit à quelques uns ne peut que sombrer face au nombre de citoyens dont la légitimité est consubstantielle à la démocratie.

Le pouvoir médiatique est noyé dans le bruit numérique

Le système de la Vème République a besoin d’un pouvoir médiatique aussi indépendant que possible pour diffuser l’information et contrer la désinformation voire la manipulation. Sans cela, on ne peut compter que sur la vertu politique ce qui ne va pas de soi.

Or à nouveau, l’hyperconnectivité numérique met à mal ce qui était établi depuis si longtemps. Le citoyen créateur et diffuseur d’information n’a pas besoin d’un média institutionnel, il peut parler à la planète entière à coût quasi nul. La seule condition est de maîtriser la communication numérique.

La conséquence est que les journalistes sont privés de leur monopole de diffusion de l’information de tous les jours. Par ailleurs, le volume d’information diffusé a considérablement augmenté. Enfin entre vérité, mensonge et intoxication, l’information « populaire » ou « parasitaire » a fini par noyer l’information en général.

Les médias ne peuvent pas se battre sur ce terrain. Cependant il leur reste deux domaines sur lesquels ils sont difficilement remplaçables : le fact checking et l’enquête en profondeur.

Pour le reste, là aussi le citoyen hyperconnecté a pris le dessus.

Et le pouvoir judiciaire ? Quel avenir pour la République ?

La Vème République n’a pas fait de la justice un pouvoir d’élus (ce n’est pas le cas dans toutes les Républiques). À cause de cela, le mouvement des gilets jaunes ne questionne pas le pouvoir judiciaire. Et fort heureusement car plus que l’exécutif et même le législatif, la justice a besoin d’expertise et de recul. Or la citoyenneté est égalitaire et ne donne pas plus de poids à la voix d’un citoyen expert et prudent qu’à un autre béotien et impulsif. Et c’est heureux !

On touche là à un problème auquel seront confrontés les futurs rédacteurs de la VIème République. La force démocratique est en train d’atteindre un niveau inédit et cela découle en grande partie de l’hyperconnectivité numérique. Mais cette force est par nature violente, versatile et trop souvent émotionnelle. Le tout dans un temps qui s’accélère de façon foudroyante.

Une République sereine se doit de ralentir le temps, de se projeter sur le long terme, de prendre de la hauteur et du recul, d’apaiser les passions.

(*) « connecto ergo sum » renvoie au « cogito ergo sum » (je pense donc je suis) de Descartes. C’est l’idée que dans ce monde hyperconnecté nous ne nous définissons plus par rapport à notre capacité à penser, à être par notre réflexion mais par rapport à notre connectivité au monde, aux autres et aux machines.

L’individu disparaît aujourd’hui au profit d’un réseau d’échanges d’informations. Ceci pourrait être amplifié rapidement par des « greffons d’Intelligence artificielle » certes capables d’augmenter nos capacités mais aussi première étape nette vers une forme de transhumanisme.

2 commentaires

  1. francoise sanquer

    certes , certes , mais il reste souhaitable que les experts en chaque domaine soient écoutés (si du moins ils ne sont pas autoproclamés) . si le cogito ego sum peut être remplacé par le connectico ergo sum ( je me connecte donc je travaille) , ma maxime préférée après le gnoti seauthon socratique( connais toi toi même) restera « in medio stat virtus « ( c’est dans la modération qu’est la vérité ) aristotèlicienne .

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